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Photo du rédacteurMarie Noelle Bon

Tu peux bien faire çà pour moi !


"Tu peux bien faire ça pour moi... Quand on aime on fait des concessions..."


Adèle ressassait ces derniers mots qui avaient clôturés une nouvelle crise conjugale.


Elle marchait à vive allure dans la rue, le regard perdu ne s'accrochant même pas aux vitrines alléchantes.


Tout en elle était colère, indignation, frustration !

Il était bien loin ce temps où la complicité épanouissait son couple. 20 ans... 20 ans déjà qu'ils s'étaient mariés pour le meilleur et pour le pire... Et elle y était, elle venait d'aborder le passage du pire avec sa ribambelle d’échanges houleux qui était devenue leur lot quotidien. Fini les éclats de rire, les fous rires malicieux, les frôlements de main, les longues discussions autour d'un verre... Non tout çà c'était loin derrière eux... Maintenant elle se trouvait confrontée au "si tu m'aimes tu dois accepter"....


Mais qui est le crétin qui a bien pu un jour immiscé dans les couples une telle bêtise ? 


Alors si j'aime l'autre je dois tout sacrifier, je dois lui obéir, répondre à ses moindres exigences en zappant mes besoins, mes valeurs ! Je dois laisser de côté tout ce qui m'a construit, tout ce en quoi je crois !


Au rythme de sa colère, elle pressait le pas, ponctuant le claquement de ses talons par son discours intérieur qui s'échappait, par intermittence, de sa bouche, crispée par l'incompréhension du déroulé de sa vie.


Quand elle surprenait un individu, homme ou femme, lui jeter un regard ahuri, elle le foudroyait avec des yeux lançant "Qu'est ce t'a à me regarder ? Va te faire voir ! Passe ton chemin ! J:'en ai rien à faire !"


Depuis plusieurs mois déjà elle ressentait que des changements se profilaient. Elle le trouvait distant, agressif, prêt à exploser à la moindre question. Au début elle avait mis çà sur le compte du travail. Puis à la vue de sa mine fatiguée, de sa fuite, chaque soir, vers son lit tôt, dès le début de soirée, elle s'était inquiétée pour sa santé.


Elle devinait un mur de silence, d'omissions, s'élever entre eux.


Face à son refus de lui expliquer ce qui le chamboulait, elle avait repris le cours de sa vie en se rassurant par l'arrivée prochaine des vacances. Ce voyage programmé depuis 1 an allait leur permettre par le dépaysement et le repos de se retrouver, de nettoyer ces mois de disputes.


Elle venait de passer la semaine écoulée aux derniers préparatifs... Elle avait parcouru le centre-ville pour les derniers achats vestimentaires... Mise à jour complète de leur garde-robe !


Et oui ! Cette croisière sur ce paquebot luxueux leur imposait des tenues élégantes tant pour la journée que le soir. Elle avait éprouvé un réel plaisir à faire chauffer la carte bleue pour épuiser cette petite réserve qu'ils avaient prévue ensemble pour ce rêve qu'ils allaient enfin réaliser ! Une semaine de paillettes et de champagne !


Leurs amis n'avaient pas compris ce besoin de dépenser tant d'argent pour ces quelques jours d’évasion, mais pour eux c'était la reconnaissance de ces 20 dernières années de travail acharné, de temps de loisirs et de détente abandonnés pour la réussite professionnelle. Ils avaient tout misé sur le travail, oubliant totalement les moments simples de la vie, ces petits moments à savourer l'instant présent, l'instant vécu, ces petits moments où l'on prend le temps de s'arrêter pour pleinement les vivre, les découvrir, les exalter...


Ils avaient opté pour la vitesse, l'impatience d'être à demain, d'être vers un jour meilleur laissant passer toutes les occasions de ramifier leur sentiments, de leur permettre de s'ancrer profondément dans leur chair.


Ils n'avaient pas su voir l'autre, ses désirs refoulés au bénéfice de l'accession matériel, ses rêves romantiques ensevelis sous le quotidien routinier.


Les enfants… Deux étaient arrivés très vite après leur mariage. Avant même d’avoir exploré la vie à deux, ils s’étaient retrouvés plongés dans la vie familiale, faites d’obligations, de peurs, et d’angoisses parentales.


Les fines gouttes de pluie lui rappela qu’elle avait claqué la porte de l’appartement sans enfiler son manteau, elle avait juste attrapé son sac posé sur le pouf de l’entrée.


Quand il était arrivé ce soir-là son attitude l’avait interpellé. Il avait tronquer de son visage, cette expression morte de lassitude, par un sourire, ce fameux sourire qui faisait tout son charme. Il l’avait interpellé du salon.


Elle l’avait rejoint et constaté qu’il lui avait servi un verre de martini Gin, son apéritif favori. Elle s’était laissée tombée sur le canapé en cuir et lui avait demandé : « Qu’est ce qui me vaut cette attention ? ».


Si elle avait su, elle serait restée dans sa cuisine à préparer le repas ! Elle aurait fait la sourde oreille à son appel… Elle aurait refusé ce verre… Elle n’aurait jamais posé cette question !


Le risque avec les questions c’est toujours la réponse !


Mais comment avait-il pu lui faire cela ? De quel droit avait-il décidé de leur vie ainsi sans même la consulter ? Lui l’homme de la maison s’était arrogé tout pouvoir et il avec des « Il fallait bien… Je n’avais pas le choix… Si tu m’aimes… Tu verras tout va bien se passer… Il lui avait exposé ce qui le minait depuis des mois. Et elle stupide, l’avait laissé faire !


Mais pourquoi n’avait-elle pas insisté ? Pourquoi avait-elle préféré ne pas lui faire révéler ses cachotteries ? La peur, voilà ce qui l’avait retenue, la peur que sa vie programmée ne s’écroule, la peur d’entendre ce qu’il venait de lui avouer. La peur que tout lui échappe…


Et bien au moins celui qui a proclamé que la peur n’évite pas le danger, avait bien raison !


Toutes ses peurs refoulées venaient la fouetter, la laissant totalement impuissante devant cette déferlante de changement.


Elle se laissa inviter par l’enseigne d’un bar, elle entra, s’installa au fond à une petite table, faite pour deux, près d’une vitre. Elle méprisa les regards qui se posaient sur elle, et commanda un martini gin. Au moins, celui-ci, elle pourrait le boire complètement sans être interrompue par des paroles qu’il aurait dû taire !


Le serveur posa son verre, lui tendit l’addition. Elle sortit son portefeuille, régla et s’empara de son breuvage. Son verre dans la main, elle faisait tournoyer le liquide le long des parois et observait la rondelle de citron qui voyageait d’un bord à l’autre. Voyager, leur voyage, des mois de préparation, des journées de shopping pour l’entendre lui dire qu’il avait tout annulé. « A quoi bon partir en voyage maintenant » avait-il ajouté.


Elle avala une gorgée pour laver ce goût amer de déception, de rage qui lui retirait toute envie de compréhension. Non seulement il la mettait devant le fait accompli mais en plus il lui demandait de le comprendre.


Et elle ? Est-ce qu’un seul instant, au long de ces longs mois où il avait comploté dans son dos, il avait pris la peine de se mettre à sa place, d’imaginer sa réaction, se demander si ses décisions étaient bonnes pour elle… Non bien sûr que non ! Il avait préféré tout prévoir, tout planifier, ne lui laissant que la possibilité d’accepter…


Elle commanda un deuxième verre… Puis un troisième. Elle comptait sur la griserie de l’alcool pour lui faire oublier ce cauchemar… Lui faire oublier que sa maison, sa voiture, ses vacances, tout ce qui lui était cher venait de lui être retirés…


Elle le revoyait, avec ce sourire libérateur de celui qui se soulage d’un gros poids, lui annoncer ce changement de vie radicale, en ajoutant que c’était pour leur bien ! Leur bien ! Mais que savait-il de ce qui était bien pour elle ! Sa vie lui convenait parfaitement ! Elle avait son travail qu’elle adorait ! Ses amies avec qui elle aimait cancaner lors de leurs soirées entre filles… Sa passion, la sculpture, à laquelle elle pouvait s’adonner complètement depuis que les enfants étaient devenus indépendants.


Pour elle sa vie était toute tracée, elle n’avait laissé aucune place pour l’imprévu…


Quand elle s’était installée dans le canapé en cuir, qu’il lui avait tendu son verre, qu’il s’était assis sur le fauteuil face à elle, qu’il lui avait dit : « Il faut que je te parle ». Un courant d’inquiétude avait parcouru tout son corps, son cœur s’était affolé, elle venait de comprendre que ces mois de présence physique amputée de toute présence affective cachait une autre. Une autre femme, plus jeune, plus belle, plus fine… C’est vrai qu’elle s’était un peu laissée aller avec les années, les grossesses avaient tatouées son corps de rondeurs au niveau du ventre et des hanches, quelques rides autour des yeux affichaient ses 55 ans… Elle suppliait dans son for intérieur qu’aucun mot ne suive cette phrase « Il faut que je te parle… ».


Mais il avait continué, et elle l’avait laissé lui exposer que depuis des années il se sentait étouffer, qu’il avait l’impression de ne plus vivre, uniquement survivre… Qu’il avait besoin de changer d’air, de casser cette vie programmée qui les menait tout droit vers une retraite qui solderait toute possibilité d’extravagance…


Elle laissait ces justifications l’écraser, l’impatience qu’il lui avoue enfin la vérité sur cette liaison qui incendiait son couple, elle le coupa net dans sa démonstration de dédouanement par un « Comment s’appelle-t-elle ? »


Il la regarda, éclata de rire, et embraya sur « Mais non ma chérie, je n’ai pas de maitresse, c’est toi que j’aime, et c’est avec toi que je veux commencer cette nouvelle vie ! ».


Ces propos ne la rassurèrent qu’à moitié, son honneur était sauf, il venait de lui éviter l’humiliation de la femme trompée mais que voulait-il dire par nouvelle vie ? Elle se retrouva coincée entre son empressement à savoir et son appréhension, mais l’anxiété qui lui nouait la gorge la poussa à le sommer de tout lui dévoiler.


C’est ainsi que sans lâcher cet air satisfait qu’il arborait, il lui annonça qu’il venait d’accepter un poste à l’étranger, qu’il avait trouvé un acquéreur pour leur maison, que là-bas il leur avait déniché une villa avec vue sur la mer…


Il… Il… Mais qu’avait-il fait de Elle, de Nous… Elle le laissa continuer d’exhiber son avenir, en regrettant finalement l’existence d’une maitresse !


Sans un mot, elle s’était levée, et s’était évadée par la fuite, de ce futur qu’il lui imposait.

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