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Photo du rédacteurMarie Noelle Bon

Je m'appelle Albert, et je suis mort





Hier une âme s’est présentée à moi. C’était en fin de journée, je venais juste de m’allonger dans le canapé pour un peu de repos. Soudain j’ai ressenti dans ma tête une violente douleur. Puis une tristesse très lourde… J’ai compris à cet instant que ma journée n’était pas terminée. Je me suis dis ok, au boulot, ma fille !


C’était un homme, il se prénommait Albert. J’ai commencé à discuter avec lui, bizarre parfois ces dialogues avec l’au-delà !


Il ne se souvenait plus de rien, il ne comprenait pas où il était, ce qui lui était arrivé. Juste cette affreuse douleur à la tête qui lui retirait tout repos.


Alors j’ai commencé à le nettoyer, et au fur et à mesure du soin ses souvenirs sont revenus. Il m’a raconté qu’il était né lors de la grande guerre. Celle-ci, il en avait peu de souvenirs, ce n’était qu’un bébé. Mais ensuite il a connu l’autre guerre. Il en avait gardé que des images de mort ; de tous ses compagnons agonisants sur les champs de bataille, dans des râles, des cris, des pleurs. Et puis, sa vie avait repris. Il a rencontré sa femme, les enfants sont nés.


Il a travaillé dur la terre, et oui comme il m’a dit « j’étais un simple paysan pas bien riche ». Il m’a raconté la vie d’avant, les grandes tablées pour les réunions familiales. Sa vie au cœur d’un petit village, où les gens se rencontraient au coin des rues, et prenaient le temps de discuter. C’est vrai qu’ils échangeaient bien souvent que des banalités, le temps, les récoltes, les nouvelles et bien sûr au passage quelques méchancetés sur les voisins. Mais, a-t-il ajouté, nous étions toujours présents les uns pour les autres dans les moments difficiles. Et sa vie a continué…


Je suis restée ainsi plusieurs heures à l’écouter me parler de son épouse, si douce, si gentille mais qui avait la santé fragile. Une femme incroyable, aimait-il à me répéter. Jamais elle ne se plaignait, toujours levée la première, couchée la dernière, pour s’assurer que toute la petite famille avait tout ce dont elle avait besoin. Et puis un matin, elle a été prise de vertiges, elle s’est allongée. Il s’est assis près d’elle, elle lui a souri, elle est partie. Il n’était plus que tous les deux, les enfants étaient déjà partis vivre leur vie à la ville. Il lui a fermé les yeux, comme il avait fermé les yeux à de nombreux compagnons, à ses parents. Et les années se sont écoulées, il a continué sa vie de paysan.


Puis d’un seul coup, il a arrêté de me raconter. Sa tristesse s’est amplifiée, et je ne savais pas quoi lui dire.


Des images de sa fin de vie me sont arrivées. Il avait préféré oublier toutes ces dernières années, car sa souffrance était inabordable. J’ai vu sa solitude, ses enfants qui ne venaient plus. Oh ! Ils avaient toujours de bonnes excuses ; trop loin, pas le temps… En voyant tout cela j’ai senti une colère grandir en moi, mêlée à de l’injustice. Petit à petit il s’est souvenu, quelle détresse pour cet homme !


Et il m’a juste dit : « personne ne m’a fermé les yeux »


Il est mort soudainement, au vu de ma douleur dans la tête, j’en ai déduit qu’il avait fait un AVC. C’était le soir, la nuit était tombée, il venait de fermer ses volets. Il s’est dirigé vers sa chambre, il a porté sa main à sa tête et s’est écroulé. Il est resté ainsi sur le sol a regardé le plafond, pendant que la mort lui retirait la vie. Ce n’est que le lendemain en fin de journée, que son voisin s’est inquiété de ne pas voir les volets ouverts. Les secours sont arrivés mais il était trop tard.


Albert avait quitté ce monde, après une vie de batailles pour nourrir sa famille ; une vie de sacrifices pour que ses enfants aient une bonne situation, pas comme lui, pauvre paysan ! Au fil des années, il a accompagné ses aînés dans la mort, mais pour lui personne. Juste la solitude et la vieillesse !


Je me suis mise à pleurer avec lui, pour lui, pour ses enfants. Au fur et à mesure la paix l’a enveloppé, il m’a souri, m’a remercié, et est parti accompagné d’amour. Avant de partir il a ajouté : « je peux vous demander encore de m’aider ». « Oui bien sûr » lui ai-je répondu.


Ses dernières paroles étaient pour ses enfants, il voulait juste les libérer de leur souffrance de ne pas avoir été présents pour lui. J’ai accepté, mais pour Albert, car sincèrement je vous avoue que j’avais de la colère envers eux. Mais cette colère n’était que le reflet de ma propre colère contre moi d’avoir moi aussi oublié mes proches, trop absorbée par les fausses excuses de ma vie. Même si j’ai eu la chance de tenir la main de ma mère et de mon père, je me sentais coupable de n’avoir jamais vraiment avoir pris le temps de leur rendre visite plus souvent avant qu’ils ne disparaissent.

Cette histoire m’a beaucoup touchée. Elle m’a entrainée dans de profondes réflexions. Est-il juste de vivre ainsi ? De se dévouer pour ses enfants, leur sacrifier toute une vie, pour vieillir seul et mourir sur un sol froid d’une cuisine avec un plafond comme dernière image ?


Je sais bien que rien n’arrive au hasard, que parfois, en tant que parents nous ne sommes pas ce que nos enfants souhaitent, attendent. Mais qui a dit qu’être parent était simple ? Comment donner amour et tendresse, quand les premières pensées du matin ressemblent aux dernières du soir ? Et que ces pensées ne sont que questionnement sur la vie, sur l’argent qui va manquer, sur comment nourrir sa famille, la protéger ?


C’était la vie d’Albert, un vrai défi de survie que le travail de la terre l’obligeait à relever chaque jour.


N’était-ce pas une grande preuve d’amour ? Bien plus grande que de simples mots dénués de valeurs quand ils sont dits dans le vide de l’action.


Sois en paix Albert et merci de m’avoir permis de comprendre que même si nous, enfants, nous oublions nos aînés, leur amour se transforme en pardon pour nos manquements.




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